Décadence de l'Europe

26/9/1947

 

Le plan Marshall, l'aide américaine, les débats orageux de l'ONU, l'affaire de Grèce, tout peut être ramené à un même dénominateur : la crise de l'Europe.

La politique internationale, plus dégagée, malgré tout, des passions et des réflexes humains que les politiques intérieures, obéit à des lois qui ressemblent à celles de la physique. On pourrait rapporter les événements que nous vivons de l'axiome :

« La nature a horreur du vide ».

Le phénomène est le suivant :

Il s'est formé un grand vide à la place de ce cœur du Monde qu'était l'Europe.

Dans cet agrégat de peuples, plus aucune puissance n'est à l'échelle actuelle de la Russie ou de l'Amérique.

Il était donc fatal que les vrais « Grands » aient tenté d'occuper ce vide, en en faisant le théâtre de leurs rivalités actuelles.

Cette décadence de l'Europe tient à deux causes :

D'abord des destructions. Ce n'est pas impunément qu'une tornade de quatre ans se déchaîne sur un continent. Si nous manquons de tant de choses en France, c'est que bien des usines sont détruites. C'est que nous avons dû fournir un labeur énorme – qui a fait l'admiration des seize – pour rétablir nos moyens de communication, nos transports terrestres spécialement affectés par la guerre.

Mais, quelles que soient les destructions, elles ne sont pas la cause principale de la décadence européenne. Nous l'oublions trop : l'Europe était plus riche par ses possessions que par elle-même. Elle était riche des territoires coloniaux, où une main-d’œuvre bon marché lui permettait d'acquérir à bas prix, son caoutchouc, son coton, ses phosphates... Que d'autres choses encore !

Bien souvent, avant la guerre, j'ai entendu André Siegfried le souligner :

« Un prolétaire européen était un seigneur, pour qui, dans des contrées éloignées, travaillaient de tout autres prolétaires ».

Or, dans ce sens, il faut bien le dire, mercantile, l'Europe n'a plus de colonies. Elle aura peut-être des clients. Elle n'aura plus de territoires d'exploitation.

Les colonies n'étaient pas seules à travailler pour elle. Les capitaux placés dans le monde entier fructifieraient. Ils équilibraient les balances des comptes, profitant ainsi à tous les citoyens, et non pas seulement aux capitalistes.

L'Europe a dû vendre ses capitaux pour financer sa guerre, pour financer sa reconstruction.

Aussi chacun de nous souffre-t-il de la décadence de l'Europe. Elle a nom : baisse de notre standard de vie.

Peut-être des maladresses gouvernementales, un dirigisme de néophytes, une volonté trop systématique de prendre le contrepied des expériences antérieures, y ont-ils contribué. Mais le mal est trop général et trop profond pour que ces causes aient pu le déterminer.

Décadence de l'Europe, baisse de notre standard de vie, et origine de nos remous internationaux. Autant dire qu'il n'est pas d'autre salut pour chacun de nous, comme pour chacune de nos patries, qu'un relèvement de l'Europe entière.

Les voix mêmes de l'égoïsme personnel, et du nationalisme, nous obligent à l'internationalisme.